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Silence, des journalistes meurent en Haïti

Un article d’Anderson D. Michel/ Dessin : Oriane Sebillote pour Paris d’exil


« Une profession toujours plus vulnérable et stigmatisée », c’est la conclusion de l’état des lieux fait par Reporters sans frontières (RSF), quant à la liberté de la presse en 2020 en Haïti. A Port-au-Prince, qui figure au 87e rang du classement mondial (sur 180 pays ndlr), les attaques et les intimidations perpétrées à l’encontre des professionnels de l’information ont cru de façon exponentielle ces dernières années.

Dans la nuit du 29 au 30 juin dernier, les journalistes et militants Antoinette Duclair et Diego Charles, 33 ans, ont été assassinés rue Acacia, dans la capitale haïtienne.

« Un acte infâme qui a fauché la vie de deux professionnels (…) engagés activement au service de leur patrie »

Reporter pour la radio vision 2000, Diego Charles se trouvait à proximité de son domicile, en compagnie d’Antoinette Duclair qui était, elle, dans son véhicule. Les assaillants les ont tués par balles, avant de prendre la fuite sur leur moto. Ils n’ont pas été identifiés.

Antoinette Duclair, qui travaillait pour Radio sans fin (RSF), avait échappé à une tentative d’assassinat le 23 février dernier.

Diego Charles et Antoinette Duclair. Capture d’écran chaîne Youtube Saintiné André Jules.

Vision 2000 a publié un communiqué de presse pour annoncer la suspension de programmes entre le 30 juin et le 4 juillet dernier, en hommage aux deux journalistes tués. Le média a tenu à dire son « indignation face à cet acte infâme qui a fauché la vie de deux jeunes professionnels (…) engagés activement dans leur carrière au service de leur patrie ». Avant de demander aux « autorités compétentes » que « justice soit rendue ».

Dans la seule nuit du 29 juin, quinze personnes ont été assassinées à Port-au-Prince.

Des attaques à répétition poussant à l’exil

Ce double assassinat intervient dans un contexte de recrudescence d’une violence systématisée – et banalisée- à l’encontre des journalistes. Le 25 juin dernier, rue Capois à Port-au-Prince, le reporter Junior Pinvin a été attaqué tandis qu’il sortait des bureaux du Nouvelliste, un quotidien indépendant généraliste de référence où il est employé. Des individus armés lui ont tiré dessus à bout portant à trois reprises, avant de prendre la fuite avec son sac à dos.

Junior Pinvin a été transporté en urgence à l’hôpital, où il a subi une intervention chirurgicale, selon un proche du journaliste. D’autres sources nous ont indiqué que son état était stabilisé et qu’il continuait à recevoir des soins.

Un autre reporter est devenu, bien malgré lui, l’emblème de cette politique d’intimidations et de censure. Dieu Nalio Chery, photojournaliste multi-récompensé pour son travail – notamment via un Prix Philippe Chaffanjon-, a alors décidé de quitter Haïti le 18 juin dernier.

Sa voiture criblée de balles, sa famille jointe et menacée au téléphone… Après quatre mois d’intimidations, le reporter a opté pour l’exil.

« J’ai vécu des soucis de santé avec ma tension artérielle. J’étais stressé. Je craignais le pire pour ma famille. Ma femme était paniquée. On a dû garder les enfants à la maison. Ils ne pouvaient plus se rendre à l’école. Ma femme ne pouvait plus aller travailler. (…) J’ai senti que je ne pouvais pas échapper aux gangs tant ils sont puissants et organisés », a-t-il ainsi rapporté au Nouvelliste.

La toute-puissance des gangs

Les menaces et intimidations ont débuté pour Dieu Nalio Chery au moment de sa couverture d’une mobilisation orchestrée par Fantom 509 – un groupuscule de policiers contestataires qui opère le visage cagoulé– le 17 mars dernier, en plein cœur de Port-au-Prince, dans la zone Simon Pelé.

Là, il assiste à un échange de tirs, avant d’observer les membres du gang traîner des cadavres au sol, tentant de traverser le quartier sans être repérés. « Deux membres du groupe ont menacé de me tuer si je m’entêtais à en prendre davantage (de photos ndlr) », abonde Dieu Nalio Chery, toujours auprès du Nouvelliste.

Depuis ce reportage, le journaliste n’a eu de cesse d’être harcelé.

La situation d’insécurité en Haïti va donc croissante depuis près de trois ans, notamment avec la création du groupe G9, une fédération de neuf gangs parmi les plus puissants de l’île. Une corporation qui serait le bras armé de l’exécutif à travers la CNDDR (Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion), affirme les spécialistes. Plus récemment, la spectaculaire évasion de plusieurs centaines de prisonniers depuis la prison civile de Croix-Des-Bouquets est venue renforcer cette accélération d’insécurité.

Mais, les menaces sur la liberté de la presse en particulier, et la liberté d’expression en général, se conjuguent sur un temps long en Haïti. Il y a plusieurs années déjà, l’ex-sénateur Dieuseul Simon Desras alertait le public sur de potentielles attaques planifiées par le régime en place (PHTK), pour faire assassiner plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains. Parmi eux, Jacques Adler Jean Pierre, journaliste culturel à Radio-Télé-Caraïbe(RTVC).

Les menaces attentées à sa vie sont toujours d’actualité, puisqu’il aurait échappé in extremis à une tentative d’assassinat à son domicile le 25 février dernier.