L’innovation technologique comme fer de lance de la souveraineté française. C’est semble-t-il l’ambition du président Emmanuel Macron qui a annoncé ce 17 septembre cinq milliards d’euros pour favoriser la montée en puissance de start-up hexagonales. Depuis 2015, l’entrepreunariat français est dynamisé par un public spécifique, celui des réfugiés. Seulement, leurs besoins, leurs défis et leurs attentes diffèrent. Acteurs publics et privés se mobilisent pour l’insertion professionnelle des nouveaux arrivants, arguant que c’est aussi là une façon de changer de regard sur la migration.
Sofia Belkacem et Mortaza Behboudi / Illustration : Doudou
« Les réfugiés sont souvent obligés d’ouvrir leur propre business. Pourquoi ? Parce qu’en exil, tu n’arrives pas toujours à trouver un emploi. Pourtant, tu continues à porter de lourdes responsabilités, comme celle de ta famille, mais tu ne reçois pas assez d’aide de la part du pays d’accueil. L’entrepreneuriat apparaît donc comme un horizon possible ». C’est en tout cas le postulat de Ahmad Sufian Bayram, un entrepreneur d’origine syrienne qui a notamment écrit en 2018 un mode d’emploi, « Entrepreunariat en exil ».
Cependant, des obstacles peuvent en décourager plus d’un. « Manque de capital social, de réseau, d’accès au financement, maîtrise lacunaire du français ou encore difficulté à se faire sa place dans le système entrepreunarial ». Les freins à entreprendre pour les personnes réfugiées sont légion selon Camille Marronnier, responsable du programme incubation à Singa Paris. Porte-parole du Haut-Commissariat des réfugiés en France, Céline Schmitt corrobore : « il s’agit d’un public qui a des besoins spécifiques, en termes de soutien, de santé, en conseil psychologique par exemple ».
Autant de particularismes qu’il s’agit de prendre en compte pour ces entreprises, ces incubateurs qui décident d’accompagner des réfugiés souhaitant monter leur affaire. « Il faut faire en sorte que cet éco-système de l’entrepreunariat français soit plus accessible et inclusif », résume ainsi Camille Marronnier, responsable du programme incubation à Singa Paris.
Tout en gardant en tête qu’entreprendre n’est pas destiné à tout le monde. « A l’issue de la pré-incubation du projet, et avant son développement effectif, 50% des jeunes pousses décident de s’arrêter là, soit parce qu’ils estiment qu’il est trop tôt pour lancer leur projet, soit parce qu’ils ont besoin de stabilité financière… Notre rôle c’est de les accompagner, mais aussi de les réorienter le cas échéant. Ils peuvent toujours se lancer plus tard. Nous constatons aussi qu’un certain nombre d’entre eux reprend des études », explique-t-elle.
Depuis la naissance de l’incubateur Singa en 2016, 80 projets ont été développés, 66% d’entre eux sont encore en activité, quand 34% d’entre eux génère de l’emploi.
Une tendance, qui permet de changer de regard
Avec le pic de la crise migratoire en Europe en 2015, peut-on alors parler d’une mode autour de l’entrepreunariat des personnes réfugiées ? Pour Camille Marronnier, il s’agit en tout cas d’une « tendance« , et elle s’en félicite. « Plus il y a d’acteurs, plus on communique sur ce sujet, plus on contribue à changer le regard. Pour que le mot réfugié ne rime pas avec morts en Méditerranée, mais avec une posture d’acteur, de créateur de projets ».
Même son de cloche du côté de la Ruche, et de sa directrice des programmes d’incubation, Margaux Cosnier. « L’on observe c’est vrai, du côté des décideurs, une prise de conscience grandissante du talent des personnes qui arrivent . Et cette mise en place d’une discrimination positive à destination des réfugiés est une bonne chose ». La Ruche, qui a fêté son dixième anniversaire cette année, lance le mois prochain un nouveau programme à Montreuil à destination des porteurs de projets réfugiés. C’est une première pour l’organisation, qui est spécialisée dans l’accompagnement des projets depuis sept ans.
Céline Schmitt quant à elle se réjouit de l’implication de partenaires privés, martelant : « privé, public, ONG… tous les acteurs doivent travailler ensemble. L’accès à l’emploi est clé pour l’intégration des réfugiés sur le territoire. Qui plus est quand ces entreprises, ces groupes possèdent des filiales, des antennes dans différentes villes en France. Cette décentralisation est capitale : ce n’est pas qu’à Paris que l’on peut trouver un emploi ».
« Une situation gagnant-gagnant »
La compagnie d’assurance Generali est l’un de ces acteurs privés engagés dans l’insertion professionnelle des réfugiés. Via sa fondation The human safety net, créée en octobre 2017, Generali entend aider les entrepreneurs réfugiés à développer leur activité. L’an passé, quelque 200 personnes ont bénéficié de ce programme dans des secteurs aussi divers que l’alimentaire, le tourisme ou bien encore l’acclimatation linguistique.
« On ne prétend pas régler dans sa globalité le problème des migrations et de l’accueil, qui relève des pouvoirs publics, français et européens. Ce qu’on a essayé de faire par contre, c’est dans ce domaine considéré comme négatif, d’en tirer du positif. C’est en réalité une situation de gagnant-gagnant : à la fois pour la personne qui a envie d’entreprendre et pour le territoire d’accueil car cela créé des emplois, des compétences et des opportunités », explique ainsi Jean-Laurent Granier, le PDG de Generali en France.
Alors, quid de la viabilité des projets ? Generali et la Ruche s’accordent pour dire qu’il est trop tôt encore pour analyser l’impact effectif de leur programme respectif. Une chose est sûre pour la direction du groupe d’assurance : « nous recherchons à montrer l’exemple, afin de donner envie à d’autres entreprises de s’engager également », avance Jean-Laurent Granier.
« L’utilité première de tous ces programmes est bien, je crois, que les personnes réfugiées reprennent confiance en elles et en leurs capacités. Il faut prendre en compte ce processus global de travail, et non simplement la création d’emplois », ajoute Frédérique-Rose Maléfant, coordinatrice du programme The Human safety net en France