« Il est indispensable de trouver d’autres solutions, d’autres voies légales, pour éviter que des personnes prennent des routes dangereuses par désespoir ». L’incendie du camp de Moria, survenu sur l’île grecque de Lesbos, le 9 septembre dernier, vient violemment rappeler la précarité de l’accueil des personnes exilées en Europe. Après l’aide humanitaire d’urgence mise en place par les autorités grecques et le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-Unies, quelles solutions pérennes peuvent permettre une meilleure dignité et sécurité des personnes ? Interview avec Céline Schmitt, responsable des relations extérieures et porte-parole du HCR en France.
Interview : Sofia Belkacem et Abdallah al-Hassan/ Photos : Melis Omalar
Guiti News : Comment le Haut-Commissariat aux réfugiés est-il venu appuyer l’urgence humanitaire ?
Céline Schmitt : Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a soutenu les autorités grecques pour la construction d’un site temporaire de mise à l’abri et l’établissement de 49 installations sanitaires (permettant l’accès à l’eau et l’utilisation de toilettes chimiques). Il a également fourni quelques 65 700 biens de première nécessité, comprenant des couvertures, des sacs de couchage et des kits hygiéniques. Ainsi que 1 000 tentes familiales concernant 6 700 personnes.
Enfin, avec le concours de la Commission européenne, le HCR a débloqué une aide financière en cash à destination de 4 470 familles.
Mais, il s’agit désormais de trouver des solutions pérennes, notamment pour les personnes les plus vulnérables, comme les mineurs non accompagnés. Nous nous sommes immédiatement mobilisés pour placer ces 400 enfants seuls à l’abri, en les transférant vers le continent grec.
Et avons également mis à l’abri 48 femmes seules et enfants à risque à Lesbos.
Des solutions sont possibles, mais elles doivent être envisagées sur un temps long, et faire montre d’une solidarité européenne.
Précisément, ces solutions à long terme, quelles sont-elles ?
Le HCR a appelé à plusieurs reprises à la formulation de solutions nouvelles. Et parmi elles, le fait de décongestionner les centres sur les îles grecques. Les conditions de vie n’y sont pas acceptables pour les demandeurs d’asile. Moria accueillait encore il y a une quinzaine de jours plus de 12 000 personnes, pour une capacité de 3 000.
Bien sûr qu’il fallait trouver des solutions ! Il y a un an Filippo Grandi (le Haut-Commissaire du HCR ndlr) proposait déjà des solutions concrètes, et notamment à l’endroit des plus vulnérables, des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées, et de celles portant un handicap.
Figurent notamment le transfert et la relocalisation vers d’autres pays européens. Avant cet été, différents projets ont déjà été mis en place. Onze États se sont ainsi engagés à accueillir 1 600 personnes. La France, elle, doit en accueillir 350. Les premiers transferts d’enfants ont eu lieu au début de l’été.
Cela constitue déjà une réponse. Nous avons émis d’autres recommandations, notamment l’accélération de la procédure de demande d’asile en Grèce. Plus globalement, il faut constamment penser long terme pour éviter cette situation de surpopulation, commune aux autres îles grecques. Des îles qui hébergent actuellement 27 000 demandeurs d’asile, pour une capacité d’accueil de 5 500.
Sur place, la cohabitation entre demandeurs d’asile et locaux se complique encore davantage …
Jusqu’à présent, les habitants des îles se sont plutôt montrés généreux dans l’accueil et l’hospitalité. Mais, il est indéniable que la surpopulation a aussi une incidence sur les insulaires.
Ces derniers doivent être plus consultés, plus impliqués, dans le règlement de la situation. Car, cette situation n’est pas non plus acceptable pour eux.
Nous appelons à la retenue. La violence et la xénophobie ne vont rien régler.
Croyez-vous que les conséquences qui sous-tendent l’incendie du camp vont infléchir la politique européenne ? Et notamment, la suppression du Règlement Dublin ?
Il y a effectivement un besoin de solidarité. Des pays européens se sont déjà engagés à soutenir la Grèce. Et des offres de relocalisation continuent à être proposées.
Il est évident que la réponse à la situation implique une solidarité européenne. Le pacte européen sur la migration qui sera analysé cette semaine constitue une bonne opportunité pour discuter d’une solidarité européenne.
Cela inclue les mécanismes de relocalisation, mais aussi la question du sauvetage en mer et du débarquement, ainsi que la répartition des personnes. Il est indispensable de trouver d’autres solutions en amont, d’autres voies légales, pour éviter que des personnes prennent des routes dangereuses par désespoir.
Des voies légales qui peuvent être plurielles : bourses universitaires pour étudiants réfugiés, parrainages privés dans certains pays…
La politique européenne doit soutenir les pays qui accueillent le plus de réfugiés. Et notamment en intervenant sur l’accès à l’éducation des enfants. A ce titre, avec la pandémie, la situation des filles est préoccupante. Nous avons une crainte, celle que la covid-19 renverse les gains acquis ces dernières années dans l’autonomisation des filles par l’école.
Car l’école, c’est bien sûr cet endroit pour apprendre, mais c’est aussi un environnement protecteur, qui, dans certains pays, retarde par exemple la possibilité d’un mariage précoce.
Pour autant, ces solutions ne concernent qu’une partie infime de personnes. Quid de tous les autres ?
Il est vrai que la réinstallation est une solution importante pour les bénéficiaires, mais qu’elle est infime. Dans le monde, 1% des réfugiés bénéficie de cette voie légale.
L’an passé, alors que 1,4 millions de réfugiés avaient besoin d’être réinstallés, seuls 63 000 l’ont été par l’intermédiaire du HCR. Les besoins restent beaucoup plus importants que les places offertes.