Terre de désolation. Dans un champ à la périphérie de Calais (Nord), des tentes bleues sont soufflées par le vent glacial tandis que le sol jonché d’ordures, de vêtements, de déchets alimentaires et de sacs-poubelle éventrés fait le bonheur des oiseaux. Sous le ciel gris d’hiver, le tableau est franchement déprimant. Pourtant, c’est dans ce camp que vivent des centaines de personnes en exil dans l’attente de pouvoir traverser la Manche.
Autour d’un feu improvisé, un petit groupe tente de se réchauffer, dans ce qui est peut être le seul endroit du camp pas encore envahi par la boue. Un vieux matelas gorgé d’eau traîne dans un coin alors que le feu, alimenté par l’essence, rend l’air irrespirable. Dans ce lieu de transit, hors du temps, chacun porte son histoire sur son corps. Des traits marqués par le froid et la solitude du déracinement.
L’on croise alors des visages pas tout à fait sortis de l’enfance. Comme celui d’Amir* 16 ans, originaire du Soudan. L’adolescent a traversé la Libye, l’Italie puis la France pour essayer de gagner l’Angleterre. « Mon objectif a toujours été d’aller en Angleterre, lâche-t-il avec aplomb. Même s’ils me proposaient de rester en France, je ne resterai pas. J’ai été harcelé et violenté par la police en France ».
Il s’arrête un instant, passant du somali à l’anglais. « Je sais que c’est différent en Grande-Bretagne. Ici, en France les gens ne te respectent pas », dénonce l’adolescent, encore bouleversé.
Sur le camp, des dizaines d’adolescents et de jeunes hommes cohabitent. Ils viennent d’Érythrée, du Soudan, d’Irak ou encore d’Afghanistan. « Tout ce monde vit ici dans ce qu’ils appellent la jungle, car ils sont toujours dans la brousse. De son côté, le gouvernement fait enlever les arbres et les buissons pour qu’ils n’aient aucune protection et que la police puisse mieux les voir », se désole Andrea, bénévole de la fondation « Stand by you » présente sur le campement.
« La destination n’est plus très loin désormais »
Comme beaucoup d’autres ici, Amir est dubliné. Ce qui signifie que toutes ses démarches administratives – dont sa demande d’asile – doivent être effectuées en Italie, là où ses empreintes digitales ont été prélevées. Il confie regretter d’avoir entrepris le périple, tout en affirmant : « Il n’y a pas de liberté là d’où je viens. Je ne pouvais pas aller à l’école, mais j’espère pouvoir y retourner un jour ».
Autour du feu, une question obsède tout le monde : comment au juste arriver en Angleterre ? C’est une course contre la montre : avec l’hiver, les départs en mer se font de plus en plus dangereux. « J’essaierai demain, peut-être après-demain », lâche Hamoud, un jeune homme originaire de Somalie. « Pour y arriver, beaucoup essaient de monter dans des camions ou par la mer. Si j’avais de l’argent, j’irai en bateau. Mais, de l’argent je n’en ai pas. Ça coûte 2 500 € ».
« J’ai traversé le Soudan, la Libye, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne et la France », énumère-t-il comme pour se rappeler que la destination n’est plus très loin désormais. « Le Soudan, ce n’est pas un pays sûr, il y a beaucoup de guerres. Des guerres où tout le monde est mobilisé. Même avec le harcèlement et la violence policière, je suis mieux ici », insiste, concerné, Hamoud.
Au quotidien, l’un des plus grands défis reste la communication avec la famille restée au pays. « Ma mère s’inquiète pour moi. Cela fait six mois que je ne lui ai pas parlé, elle n’a pas de téléphone », nous confie Hamoud qui, pendant un court instant, redevient l’enfant qu’il est encore un peu.
Les plage de Calais, théâtre de l’horreur
A quelques kilomètres du camp se situe une plage d’où s’effectuent nombre de départs. L’on raconte dans le coin que par temps clair, l’on peut distinguer les côtes anglaises. Seuls 30 kilomètres sépare les deux pays, après tout. Cependant, les caprices de la Manche rendent la traversée extrêmement dangereuse. Sur la plage, le vent fouette les visages et emporte tout sur son passage.
Sur les plages, ensevelis sous le sable, des sacs de couchage, des chaussons et des manteaux. C’est ici que le pêcheur Christophe Folcke a secouru un bateau à la dérive il y a quelques mois. « Ils étaient dans l’eau en état d’hypothermie sans gilet de sauvetage. Sur les 35 personnes, certaines ne savaient pas nager et étaient en train de se noyer », se souvient-t-il.
Et le marin de déplorer le jeu du chat et de la souris entre les personnes exilées et les forces de l’ordre. « Tout le monde est fatigué et en colère. Les migrants sont épuisés. Ils dorment dehors. La seule chose qu’ils souhaitent c’est qu’on les laisse se reposer avant de rejoindre l’Angleterre. C’est tout ce qu’ils veulent ! Ils ont fait des milliers de kilomètres, là il en reste 40 à faire. Et, on les empêche de passer », regrette le calaisien .
Une traversée de plus en plus périlleuse
À une station de recharge de téléphone près de la plage, Ambi adolescent originaire d’Afghanistan, patiente auprès de son téléphone. « J’ai essayé de traverser il y a trois jours. J’ai été arrêté par la police et renvoyé à Dunkerque (Nord), se désole-t-il. Mais, je vais bientôt réessayer. On ne paye que le premier voyage, les suivants sont « gratuits » », nous explique-t-il, déterminé. Bien sûr, derrière cette assurance d’arriver de l’autre côté, se niche l’inquiétude. Pour cet ingénieur qui a fui Kaboul après le retour des Talibans au pouvoir, les nouveaux accords signés entre Paris et Londres constituent une importante source d’angoisse.
« Un accord à 72 millions d’euros, c’est énorme… Mais même avec la présence des policiers… ça ne va pas empêcher les gens d’essayer de traverser », insiste Ambi.
Et même si l’on gage que la somme à verser aux passeurs est dissuasive, certains ont leur propre technique pour faire la traversée à moindre coût. Akong*, un jeune soudanais, présent autour de la station nous révèle que le voyage sera gratuit pour lui : il sait naviguer en mer. Un savoir-faire rare dont profitent les passeurs.
Des associations démunies
« Ils essaient toujours d’entrer au Royaume-Uni par camion ou par chemin de fer, mais c’est de plus en plus difficile car il y a plus de clôtures, plus de surveillance avec des caméras, des drones, etc. C’est toujours un problème pour certains migrants, mais maintenant la majorité essaie en bateau, car c’est ainsi que ça fonctionne le mieux. C’est de plus en plus dangereux », confie Pierres Roques, coordinateur de l’Auberge des migrants, une association locale qui vient en aide aux personnes en exil.
Au milieu de ce chaos, les associations sont les seules à intervenir, apportant soutiens psychologique et matériel. Andrea, qui est bénévole depuis cinq ans, témoigne de l’évolution de la situation. « Ils ont seulement besoin d’un moyen sûr de demander l’asile. Ils croient tous qu’ils vont faire beaucoup mieux au Royaume-Uni. Je ne suis pas à leur place, je ne sais pas, mais ils croient que c’est l’ultime chance pour eux d’avoir une vie meilleure ».
Loin de s’apaiser, la situation à Calais semble s’enliser dans la crise et ce, depuis des décennies. Les associations et les riverains se disent épuisés alors que le gouvernement de son côté peine à trouver des solutions.