Comme tout vautour, il n’a pas son pareil pour repérer la vulnérabilité et en tirer parti. « Les aigles de la République », sélectionné au festival de Cannes cette année, plonge une fois de plus dans un univers si obscur que même les mégawatts du réalisateur suédo-égyptien peuvent manquer d’intensité pour éclairer notre vision.
George Fahmy, l’acteur le plus populaire d’Égypte brillamment incarné par Farès, est contraint par les autorités du pays d’interpréter le président Sissi dans un film à la gloire du leader. Sans vouloir compromettre ni ses valeurs ni sa réputation, il atterrit malgré lui au cœur d’obscures manipulations politiques allant jusqu’à menacer les plus hautes instances d’un pouvoir militaire gangréné par la convoitise.
Ils ont réussi à démanteler tout type d’opposition. C’est ce qu’explique le film : « qui est la véritable menace ? Elle vient » toujours de l’intérieur, d’un proche du président. C’est la même chose pour Poutine, ça n’a jamais été Alexeï Navalny, mais plutôt Prigojine. Car ce sont les personnes à qui l’on a fourni des armes et des fonds qui ont la possibilité de nous tuer. Voilà la faiblesse d’un système empirique. »
Tarik Saleh, réalisateur des « Aigles de la République »
Avec son septième opus, Tarik Saleh frappe encore. Interdit de séjour dans son autre pays d’origine, l’Egypte, depuis en 2015 avant de tourner « Le Caire confidentiel », Tarik Saleh n’en finit pas d’utiliser sa voix et son art pour dévoiler et dénoncer les rouages opaques d’une société à plusieurs vitesses. « Les Aigles de la République » est l’ultime volet de sa trilogie sur les coulisses d’un pouvoir aux allures de labyrinthe, enfonçant le clou sur ce qui lui avait valu d’être persona non grata au pays des pharaons: la dénonciation sur fond de fiction.
Un dialogue avec les égyptiens
Pour Saleh, cette trilogie est un moyen de maintenir un contact nécessaire avec ses concitoyens égyptiens vivant dans un pays où le taux d’analphabétisation atteindrait les 20%. Le cinéma et sa place prépondérante dans la société égyptienne est une forme de medium pour toutes les strates éloignées de l’éducation et de l’accès à l’information, quand bien même ses films s’agissent de fiction. Envisagée comme telle, le réalisateur a décidé en sus de donner le rôle principal à son meilleur ami, également acteur ultra populaire en Égypte, Farès, qu’il décrit comme l’un des 10 meilleurs comédiens au monde, Hollywood inclus, de par sa transformation face caméra et sa capacité à incarner ses personnages sans réelle besoin d’être dirigé.
« Cela aurait pu faire rire si… »
Pour le moins engagé, Tarik Saleh, tout en admettant que l’Égypte lui manque tant qu’il tente inlassablement de la retrouver à travers ses films, s’est confié à notre lors du dernier festival de Cannes. Son rôle de cinéaste « privilégié », mais également sur le sort réservé à ses collègues égyptiens, muselé par un système quasi autocratique, répandu à l’envi à travers les plus grandes mondiales, sur lesquels le cinéaste attire l’attention de ses spectateurs.
« Les Aigles de la République » de Tarik Saleh est en salles actuellement.
