Ingénieur commercial dans une entreprise de logiciels de 1997 à 2017, Mohamed Amghar demande aujourd’hui réparation aux prud’hommes pour harcèlement moral et discrimination. Il accuse son ancien employeur de l’avoir contraint à changer son prénom.
La rédaction.
Dès qu’il passait le portique de sécurité d’Intergraph France, une entreprise de logiciels basée à Rungis (dans le Val-de-Marne), Mohamed Amghar devenait Antoine Amghar. Pendant vingt ans, ce cadre supérieur aurait été contraint par sa direction à adopter un nom à consonance moins maghrébine. Au Parisien, il dénonce une discrimination crasse : « Au-dessus de moi, il y avait des gens pas très malins, qui ne pouvaient pas concevoir qu’un Arabe travaille dans la haute technologie et traite avec des boîtes comme EDF ou Areva. Ces gens me méprisaient. »
Pour ses employeurs, Mohamed Amghar ne pouvait pas exister. Ou plutôt Mohamed n’existait pas. Il fallait l’appeler Antoine. Sur ses cartes de visite, ses récompenses, sur le tableau d’honneur, la signature électronique de ses mails, sur ses badges professionnels, Mohamed Amghar s’effaçait derrière Antoine Amghar. Parfois, ses collègues osaient un « Momo » ou un « Mohamed » devant la machine à café, mais ils étaient vite réprimandés si les n+1 les surprenaient.
« Par contre, il faura changer de prénom »
Ce changement de prénom lui a été imposé lors de son dernier entretien d’embauche, en novembre 1996. Mohamed Amghar était pourtant très confiant. Il venait d’ailleurs de poser sa démission chez son ancien employeur. Mais à la fin du rendez-vous, son futur supérieur, lui lance : « Par contre, il faudra changer de prénom, ». L’homme est abasourdi. « Je me dis que c’est ignoble. Pourquoi je ne dis rien ? Parce que j’ai déjà démissionné, et je suis divorcé, avec trois enfants à charge. Donc je suis coincé, » explique Mohamed Amghar au Parisien. Mohamed devient alors Antoine…
Aujourd’hui à la retraite, cet ancien ingénieur de 63 ans espère obtenir justice. Le 11 décembre dernier, il a donc saisi le conseil des prud’hommes de Créteil pour discrimination et harcèlement moral. Soutenu par la Licra, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, il réclame plus d’une dizaine de milliers d’euros de réparation, mais aussi une « restauration de sa dignité, » explique à l’AFP son avocate Galina Elbaz.
Mais pourquoi avoir attendu 20 ans avant d’en parler ? Mohamed Amghar estime qu’il était « bloqué. A 40 ou 50 ans, et avec mon prénom, j’allais galérer à retrouver un boulot du même type, » confie-t-il au Parisien.
Et cette histoire n’est pas unique en son genre. Des Mohamed devenus Antoine il y en a eu d’autres. En 2009, la Cour de Cassation avait statué sur le cas d’un salarié qui travaillait dans une maison de retraite. Un Mohamed a qui avait dû changer son prénom en Laurent. Le verdict de la plus haute juridiction était alors clair : forcer un employé à changer de prénom quand celui-ci traduit une origine ethnique, géographique ou l’appartenance à une religion est considéré comme une violation du code du travail et une discrimination.