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Rafah, l’ultime refuge devenu tombeau

A Rafah, l’ultime refuge des déplacés gazaouis est devenu un tombeau aux alentours de minuit. La nuit a basculé dans l’horreur sur le camp de Baraksat. Plusieurs déflagrations puis un incendie s’est étendu sur les abris de fortune de plusieurs centaines de réfugiés endormis. Très vite, des images de corps mutilés émergent du chaos. Que s’est-il passé? Comment l’armée israélienne décide-t-elle de lancer l’offensive sur des lieux pourtant désignés comme « protégés »? Quel sort est réservé à près d’1.4 millions de déplacés se mouvant dans l’enclave au gré des bombardements? Quelles sont leurs alternatives? Autant de questions auxquelles Guiti tentera de répondre au gré des informations que nous obtenons jour après jour.

Une situation inédite

Depuis l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas à la frontière sud entre Israël et Gaza, l’armée israélienne a mis en place une stratégie offensive terrestre d’envergure. Objectif : récupérer les 252 otages capturés par le groupe armé. Depuis, malgré 220 jours d’offensive sans précédent et environ 35,000 décès selon les Nations Unies, l’État hébreu peine à récupérer les 121 otages -dont deux enfants en bas âge toujours détenus à Gaza. Ce qui fût annoncé comme objectif premier et capital par le gouvernement israélien au lendemain du 7 octobre semble devenu secondaire, derrière la volonté de destruction pure et simple du Hamas, justifiant les frappes de l’armée en chaque endroit où des groupes armés se trouveraient.

« Nous avions compris dès le départ que cela toucherait tout Gaza quand l’armée a annoncé que son but était d’éradiquer le Hamas là où il se trouve. Mais le Hamas est partout à Gaza. Cela revenait donc à dire qu’il fallait entièrement raser Gaza »

Shadi (nom d’emprunt) journaliste gazaoui exilé en France depuis plusieurs années.

Selon l’armée israélienne, un complexe depuis lequel opère le Hamas était la cible principale de leur attaque qui a provoqué un incendie dans le camp de réfugié avoisinant. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, contre lequel un mandat d’arrêt a été requis par le procureur de la Cour pénale internationale de La Haye, a qualifié cet évènement d’« erreur tragique ». Il a néanmoins maintenu les instructions d’offensives sur Rafah. Une nouvelle frappe a fait 21 morts mardi 28 mai, selon La Défense civile palestinienne.


Pourquoi bombarder des camps de réfugiés?

Malgré l’indignation du public à travers le monde et des condamnations de la part des grandes instances du droit international à l’encontre du gouvernement israélien, l’armée semble s’enfoncer dans l’horreur.
Après les offensives menées contre les hôpitaux dont le complexe Al Nasser à Khan Younès en janvier cette année, l’attaque d’un camp de déplacés suscite l’incompréhension générale. D’autant que la stratégie annoncée par l’état hébreu depuis le début des opérations consistait à prévenir les populations gazaouies déplacées de bombardements à venir afin d’éviter des dommages sur les civils. 

Sur les 2,3 milions de Gazaouis, on dénombre entre 1,4 et 1,9 milions de déplacés à ce jour.

Plus d’un millions de personnes ont fui Rafah en trois semaines. Crédit : UNRWA
 

« Il ne faut pas confondre les camps de réfugiés datant de 1948 avec les camps de déplacés qui s’installent aléatoirement dans des zones désignées par l’armée au gré des bombardements. La population dans ces zones croissent au fur et à mesure que la situation s’aggrave. La population s’est dirigée vers le Sud (Rafah) et notamment vers la frontière egyptienne pensant que ce serait effectivement sécure. Depuis lundi, l’armée indique à la population de se diriger vers la zone humanitaire d’Al Mawasi, à l’ouest de Rafah, c’est l’armée qui dit où il faut aller. Cela n’est pas un déplacement cinq étoiles » ajoute Shadi.

Interrogé sur le reste de la population non déplacée (environ un million de personnes), Shadi explique qu’une partie est restée dans le Nord, notamment dans des petites villes comme Deir el Balah ou Az Zawayda. « Il est dangereux pour l’armée d’entrer dans ces petites villes. Et ils ont un objectif plus important à atteindre dans les plus grandes villes. » (NDLR : détruire des lieux stratégiques d’opération du Hamas)

Un système de santé écrasé

En décembre 2023, l’OMS dénombrait près de 164 attaques contre les services de santé dans la bande de Gaza. Parmi elles, celle de l’hôpital AlShifa, le plus grand complexe médical de l’enclave, situé au Nord du territoire. Aujourd’hui, Médecins sans frontières indique que 24 hôpitaux de Gaza sont hors service, tandis que 493 travailleurs de santé ont été tués.

Quelle alternative?

Au delà d’un bilan accablant, la question qui se pose face à cet ultime refuge devenu un tombeau: Où peuvent aller toutes ces personnes chassées par les bombardements? 

Hamsa, étudiante en médecine gazaouie à Rabat au Maroc répond tout de go: « Nowhere is safe in Gaza today » pour « aucun lieu n’est sécure à Gaza.  Il n’y a pas d’alternative où vivre à Gaza aujourd’hui. Vous déjà avez de la chance d’être en vie à ce stade » affirme-t-elle. « L’armée désigne des lieux soi-disant sûr, comme l’ouest de Rafah, et puis ils finissent par les bombarder ». La famille de Hamsa est restée au Nord malgré les sommations de l’armée, refusant de vivre sous une tente dans les rues, sans proches ni connaissances au Sud. 

« Le Nord est bombardé de façon intensive, ma famille a vécu cinq à six épisodes sous les bombes et a réussi à rester en vie, en allant de maisons en abris, se nourrissant d’aliments pour animaux lorsqu’aucune denrée n’étaient disponible dans le Nord ».

Avec le blocus de l’aide humanitaire au début de l’offensive, la population gazaouie fût confrontée à une famine qui engendra jusqu’à la mort de près d’une trentaine d’enfants de malnutrition. Lorsque les convois purent acheminer des produits de première nécessité comme de la farine, les denrées atteignirent des prix faramineux. « Un kilo de farine coutait 100 shekels (25 euros). Les gens avaient de l’argent et le système bancaire fonctionnait plutôt bien à Gaza. Mais après 8 mois sans travail et à piocher dans les économies avec des tarifs aussi prohibitifs, les moyens viennent à manquer, et la famine guette de nouveau », nous confie Hamsa.

Pour les familles du Nord ayant encore quelques économies mais ne pouvant y avoir accès, c’est depuis le sud que les transferts se font lorsque celles-ci connaissent quelqu’un pouvant effectuer la manoeuvre. « Mais cela prend 10 à 12 heures pour avoir accès à l’argent au distributeur, car tout le monde essaie de retirer en même temps ».

Si la ville de Rafah compte aujourd’hui plus d’un million de déplacés, elle ne pouvait à la base en accueillir que 250 000. 

Lorsque nous l’interrogeons sur la possibilité de rejoindre des villes « sécures » (comme mentionnées ci-dessus Deir Al Balah et Az Zawayda), Hamsa répond qu’elles ne sont pas non plus protégées, simplement moins dangereuses que le reste, et qu’elles ont également été ciblées par des bombardements. « Ces villes sont aujourd’hui surchargées car très petites à la base, et beaucoup de déplacés ont estimé qu’il était plus sûr d’aller là-bas. 80% des gens dans ces villes vivent dans des tentes aujourd’hui et tous les déplacés de Rafah et Khan Younès qui espéraient également y trouver refuge se sont retrouvés confrontés à la réalité sans pouvoir y aller. Il n’y a simplement plus de place là-bas ».

Une affaire juteuse pour les privés égyptiens

Depuis le Maroc où elles étudient, Hamsa et son amie Fatima tentent de sauver leurs familles toujours bloquées à Gaza en leur assurant un passage vers l’Egypte. Pour ce faire, la solidarité internationale s’impose comme seule option par le biais d’une cagnotte dans le but d’atteindre 30,000 dollars (27,600 euros) pour la famille de Hamsa (cinq personnes) et 25,000 (23,000 euros) pour celle de Fatima (six personnes dont quatre enfants).

Tassés aux portes de l’Egypte, les déplacés ne peuvent pourtant plus passer la frontière, fermée depuis le début de la guerre suite à de multiples bombardements israéliens du passage de Rafah. Cela justifierait les tarifs exorbitants imposés notamment par une agence de voyage privée, Hala consulting & tourism, connue des gazaouis. 

« Avant la guerre, les gazaouis désireux d’aller en Egypte payaient environ 600 dollars par adulte et 300 pour les enfants. Le périple à travers le Sinaï durait 6 heures, contre trois ou quatre jours sans agence. Nous pouvions passer la frontière légalement avec notre passeport (NDLR : document de voyage délivré par l’Autorité palestinienne) et recevions un visa à l’arrivée. Au lendemain de la guerre, l’agence a augmenté ses tarifs à 10,000 dollars par personne, suscitant l’indignation de la part des déplacés ne pouvant réunir de telles sommes, particulièrement dans ces conditions. Ils se sont donc ravisés. Et ils ont établi un prix à 5000 dollars, ce qui reste extrêmement cher pour la plupart des gazaouis » explique Hamsa.

La grand-mère égyptienne de Hamsa, ainsi que ses oncles installés en Egypte ont tenté de rapatrier leur famille, en partie égyptienne. Mais seul un passage via cette compagnie assurera leur arrivée en Egypte, le seul endroit sécure selon la jeune femme. 

Interrogée sur les plans de sa famille une fois en Egypte, Hamsa répond: « Ils recommenceront tout de zéro. Ils chercheront un lieu où s’installer, chercheront du travail, rachèteront des vêtements, reconstruiront une vie ». Le nombre de gazaouis ayant trouvé refuge en Egypte est estimé entre 80 et 100,000 personnes à ce jour.

NDLR: Shadi, journaliste gazaoui exilé en France depuis plusieurs années témoigne sous pseudonyme.