« En trois mois, l’Europe a accueilli sept millions d’Ukrainiens. Cela n’a impacté {négativement} ni le marché du travail ni celui du logement. Nous demandons que ce qui a pu être mis en place se poursuive avec d’autres personnes », réclame Damien Carême, député européen (EE-LV) et président du réseau Anvita (association nationale des villes et territoires accueillants).
Cette mi-janvier, le parti Europe Écologie-Les Verts a lancé son offensive contre le projet de loi immigration présenté à l’Assemblée Nationale et au Sénat en décembre dernier. Après la retraite et le chômage, c’est donc l’immigration qui sera le grand chantier du gouvernement. Le texte, en cours d’examen au Conseil d’État, sera présenté au parlement en mars 2023.
La création d’un titre de séjour « métiers en tension » fait grincer des dents la droite
En profond désaccord avec le projet de loi -toujours en cours d’évolution-, les sénateurs écolos ont tenu à répondre et à proposer une série de mesures à contre-courant. C’est par le biais du réseau de l’Anvita qu’ils ont décidé de déployer leur stratégie en proposant de replacer les collectivités territoriales au coeur de la réflexion sur l’accueil des personnes.
Dans le projet de loi de l’exécutif, la partie concernant la régularisation temporaire des travailleurs sans papiers fait particulièrement débat. Alors même qu’il s’agit là du volet présenté comme le plus « à gauche », la création d’un titre de séjour « métier en tension » pourrait bien être abandonnée.
En cause ? L’opposition des Républicains (LR) qui disent craindre un risque « d’appel d’air ». Un mythe selon lequel la France, en améliorant ses conditions d’accueil, encouragerait l’immigration (Nos confrères de Désinfox-Migrations ont débusqué ce fantasme ici).
De leur côté, les écolos s’inquiètent de voir le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) exploser. D’autant plus dans un contexte où 80 % de ces OQTF ne sont pas appliquées.
« On peut légitimement s’interroger sur les véritables intentions d’une loi consacrée à l’accueil des migrants qui accorde autant de place à la question des expulsions », s’étonne Guy Benarroche, sénateur EELV des Bouches-du-Rhône, en charge du dossier pour les écolos.
« Un projet de loi sur l’immigration porté par le ministère de l’Intérieur, est-ce normal ? », ajoute l’élu non sans ironie.
De la défense de l’accueil inconditionnel
La pierre angulaire du projet écolo, soutenu par l’Anvita, s’axe sur l’accueil inconditionnel des personnes. Inscrit dans un cadre juridique, ce principe entend garantir l’accès à un certain nombre de droits fondamentaux, et ce sans conditions de nationalité ou de statut administratif.
Convoquant l’accueil réservé aux Ukrainiens, les verts prônent un même traitement pour tous et toutes. Or, à ce jour, ils dénoncent des lourdeurs administratives rendant difficile l’application de ces principes.
« La complexité administrative des procédures nationales transforme vite la vie des personnes en exil en cauchemar. Leur intégration peut être facilitée à la marge une fois leur statut de réfugié obtenu, mais le respect des droits humains des personnes déboutées demeure, lui, tout à fait théorique », insiste Floriane Varieras, adjointe (EE-LV) à la maire de Strasbourg en charge de la ville inclusive.
Cap sur l’hébergement et la santé
Afin de garantir l’inconditionnalité de l’accueil, les élus reviennent sur la nécessaire application des droits fondamentaux, dont l’hébergement. « Aujourd’hui, les centres d’hébergement d’urgence sont saturés. Les élus locaux doivent ainsi trouver des solutions et se retrouvent à ouvrir des lieux qui ne sont pas faits pour ça, à l’instar des gymnases », déplore Floriane Varieras.
Autre point d’inquiétude : la difficulté d’accès aux soins pour les personnes en exil. Et de citer l’Aide médicale d’État (AME), dont le budget a été amputé de 350 millions d’euros pour 2023.
« On nous reproche de défendre l’utopie d’un accueil inconditionnel, mais l’utopie se trouve du côté de ceux qui pensent encore qu’ils vont pouvoir renvoyer tout le monde face aux grandes migrations attendues avec la crise climatique », fustige Guy Benarroche.
En 2020, 30,7 millions de personnes ont quitté leur habitation à cause de phénomènes météorologiques extrêmes, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Les collectivités locales en première ligne
En réaction, un nombre grandissant de collectivités entendent s’engager dans l’accueil des personnes en exil. L’Anvita en dénombre 75 allant de métropoles comme Strasbourg aux villages.
« Aujourd’hui, la politique migratoire menée s’inscrit en dehors des compétences des élus locaux, qui agissent dans un cadre contraint, et suivent bien souvent des orientations contradictoires vis-à-vis des services de l’Etat. On a une espèce de jeu malsain sur les territoires entre les collectivités et l’Etat », appuie Guillaume Gontard, le président du groupe EE-LV au Sénat.
Et de déplorer l’absence des dites collectivités dans le nouveau texte de loi.
Hasard du calendrier, l’affaire Callac (Bretagne) est venue rappeler la semaine dernière l’engagement des collectivités locales dans l’accueil des personnes en exil. Le village breton a renoncé à la mise en place d’un dispositif d’accueil ambitionnant de redynamiser le village. En cause ? Des menaces reçues par plusieurs élus par des groupes d’extrême-droite. « Ce village a cédé face aux pressions d’un petit groupe. J’espère que l’Etat aura à cœur de retrouver les auteurs des menaces de mort », s’insurge Damien Carême.
Faisant face à des défis exponentiels, les communes ne cessent de faire remonter leur sentiment de solitude. Les élus EELV fustigent l’« abandon de l’État ». Sans appui, leurs actions ne seraient alors que « pansements et rustines sur une jambe de bois ».