La rédaction / Illustration Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach.
C’est « un droit essentiel à la démocratie » affirme la présidence du Comité Nobel. La liberté de la presse a été récompensée pour la première fois en 120 ans d’histoire du prix prestigieux. Les lauréats du Nobel de la paix, les journalistes Maria Ressa et Dmitri Muratov, respectivement originaires des Philippines et de Russie, ont été annoncé ce 8 octobre.
Pour le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire : « c’est d’abord un sentiment de joie, parce que c’est un formidable signal que vient d’envoyer le comité Nobel de la paix d’Oslo en honorant deux journalistes extraordinaires », a-t-il expliqué à nos collègues de France Info.
Les deux journalistes récompensés sont tous deux fondateurs de médias indépendants d’investigations dans leur pays : Rappler aux Philippines et la Novaia Gazeta en Russie.
Des journalistes harcelés et empêchés
Maria Ressa, âgée de 58 ans, a créé sa plateforme numérique d’investigation en 2012. Le comité Nobel a salué son travail par rapport à « la campagne antidrogue controversée et meurtrière du régime (du président philippin Rodrigo) Duterte ». La lauréate a été victime de cyber harcèlement, elle a été condamnée dans une affaire de diffamation et son média a fait l’objet de procédures fiscales.
Selon les organisations de défense des droits de l’Homme, ces affaires relèvent du harcèlement. À l’instar de James Gomez, directeur pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International, qui déclarait en 2018 : « Les initiatives prises par les autorités philippines pour faire fermer Rappler sont une tentative alarmante de musellement du journalisme indépendant ».
D’un an son aîné, Dmitri Mouratov a, lui, participé à créer un quotidien qui a mis en lumière « la corruption, les violences policières, les arrestations illégales, la fraude électorale et les “fermes de trolls” » . Et, il l’a payé au prix fort : six de ses journalistes ont perdu la vie, dont Anna Politkovskaïa, le 7 octobre 2007.
Au cours d’une prise de parole, le journaliste a annoncé dédier son prix Nobel à son journal et à ses collaborateurs. Cité par l’agence de presse publique TASS, il a reconnu « Ce n’est pas mon mérite personnel. C’est celui de Novaïa Gazeta. C’est celui de ceux qui sont morts en défendant le droit des personnes à la liberté d’expression ».
Le journal russe a fait l’objet de nombreuses tentatives d’intimidation depuis sa création. À la mi-mars 2021, une substance toxique avait été déversée dans ses locaux et en 2018, une tête de chèvre décapitée leur avait été envoyée par la poste.
« Dire la contribution du journaliste à la concorde civile, à la paix, à la démocratie »
Ressa et Muratov représentent ainsi « tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables », a salué la présidente du comité, Berit Reiss-Andersen, à Oslo (Norvège).
Pour Christophe Deloire, ces nominations sont d’autant plus symboliques dans le contexte actuel : « à un moment où le journalisme est affaibli, affronte de nouveau de nombreuses menaces », a-t-il insisté au micro de France Info.
Et de conclure : « c’était très important de dire la contribution du journaliste à la concorde civile, à la paix, à la démocratie et à la capacité de chacun à contribuer à la résorption des grands problèmes qu’affronte l’humanité ».