« Utiliser des armes explosives, tirer sur des civils… Tout cela s’apparente à des meurtres de masse qui peuvent être qualifiés de crime contre l’humanité », nous lâche Nadia Hardman. L’autrice d’un rapport accablant, publié ce 21 août par l’ONG Human rights watch (HRW), dénonce les exactions commises par les gardes-frontières saoudiens.
Entre mars 2022 et juin 2023, des centaines d’exilés éthiopiens auraient été tués tandis qu’ils tentaient de rejoindre l’Arabie saoudite, en passant par le Yémen. Un chiffre qui serait largement sous-estimé car la zone est inaccessible.
« Ils ont survécu à l’enfer »
« Les témoignages sont ceux des survivants qui sont tous profondément traumatisés. Ils ont survécu à l’enfer. Il était impossible pour eux de s’arrêter et de compter les corps. C’est pour cela que nous n’avons pas de chiffes exacts », ajoute l’enquêtrice.
Les documents recueillis par l’organisation de défense des droits humains sont en effet glaçants. Ils font état d’usage d’armes explosives contre des civils, de tortures et d’exécution sommaire. Les faits sont survenus après la traversée de la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite.
Tous les survivants décrivent des gardes-frontières saoudiens violents, n’hésitant pas à tirer sur les femmes et les enfants.
« On nous a tirés dessus à plusieurs reprises. J’ai vu 30 personnes tuées sur place. Je me suis poussé sous un rocher et j’ai dormi là. Je pouvais sentir les gens dormir autour de moi. Puis, j’ai réalisé qu’ils ne dormaient pas, mais qu’ils étaient en fait des cadavres. Je me suis réveillé et j’étais seul », témoigne Hamdiya, 14 ans, dans le rapport.
Pour les survivants, le cauchemar ne s’arrêterait pas là, puis que beaucoup témoignent avoir été détenus pendant plusieurs mois, sans droits, une fois la frontière franchie.
Une route migratoire impraticable
D’origines éthiopiennes, les victimes ont fui les troubles politiques et économiques qui secouent le pays de la corne de l’Afrique, notamment le brutal conflit armé dans le Tigré. L’ONG estime qu’ils seraient environ 750 000 à avoir trouvé refuge dans le royaume saoudien ces dernières années.
Pour arriver dans la puissance du golfe, ils ont tous emprunté « la route yéménite ». L’une des routes migratoires les plus dangereuses au monde. Car le Yémen est en proie à une guerre civile depuis 2014. Une information que seuls 30 % des sondés disent avoir connaissance en empruntant cette route.
L’instabilité du pays rend sa traversée périlleuse, pour mettre en danger la vie des exilés qui l’emprunte. « Les réseaux de trafiquants d’êtres humains sont très efficaces sur cette route », nous confirme Nadia Hardman.
Depuis dix ans, l’ONG documente régulièrement ces crimes. En 2018, une enquête a permis de mettre en lumière le rôle des forces yéménites dans le viol et la torture de réfugiés éthiopiens. Les faits se sont déroulés dans un centre de détention à Aden, au sud du pays. L’enquête révèle que ces mêmes autorités collaborent régulièrement avec des passeurs pour expulser les personnes exilées vers la mer.
En 2021, les autorités yéménites ont également été accusées d’avoir mis le feu à un centre de détention, laissant brûler vif des dizaines de personnes. « Les Éthiopiens n’ont pas d’autres le choix. La promesse d’opportunités d’emploi en Arabie saoudite attire beaucoup d’entre eux », explique la chercheuse.
L’Arabie saoudite accusé de crimes contre l’humanité
À la frontière, ces réfugiés se retrouvent dans une situation cauchemardesque, piégés dans une zone grise entre les deux pays. Ni l’Arabie saoudite ni le Yémen ne semblant disposer à leur accorder asile et protection. Tandis que depuis 2014 la dangerosité de cette route est connue, le rapport révèle que « le schéma des abus a changé, passant d’une pratique apparente de fusillades occasionnelles et de détentions massives à des meurtres généralisés et systématiques ».
Une accusation grave qui pourrait s’apparenter à un crime contre l’humanité si le rôle de Riyad était prouvé. Une enquête a été ouverte par le pays du Golfe – conjointement avec les autorités éthiopiennes – afin de déterminer le rôle de chacun et de faire la lumière sur ces crimes. « Les allégations contenues dans le rapport sont infondées et ne reposent pas sur des sources fiables », a assuré une source gouvernementale saoudienne à l’AFP.
De son côté, Human rights watch ne se fait pas d’illusion. « Nous n’attendons rien de cette enquête. Les autorités saoudiennes avaient déjà promis des enquêtes après la publication de rapports incriminant leurs gardes-frontières. À chaque fois, ça n’a abouti à rien car ils concluent qu’il n’y a pas de preuves», lâche la chercheuse.