Le 15 septembre dernier, dans le hall du bâtiment de formation continue, les député·s nouvellement élu·es ont célébré leur pot de rentrée. Ensemble, ils ont levé leurs verres aux deux années de mandat qui les attendent, animé·es par la volonté de défendre les droits des exilé·es et de faire entendre leurs voix. Fidèle à son nom, le Parlement des Exilés rassemble 17 élu·es qui partagent l’expérience de l’exil, venant de l’Afghanistan, de la Guinée, de l’Irak ou de la Tunisie.
Donner une voix politique aux personnes exilées
« L’idée est née de débats autour de la migration, dans lesquels les personnes concernées ne jouent souvent aucun rôle. » , explique Dounya Hallaq, qui en est la cofondatrice. En 2024, alors que le projet de loi sur l’immigration et le Pacte européen sur la migration et l’asile occupaient les débats publics, la parole de celles et ceux qui vivent l’exil restait absente. « Notre objectif, c’est de créer une connexion entre les institutions et les populations exilées », poursuit Dounya Hallaq.
C’est ainsi qu’est né le Parlement des Exilés : une véritable assemblée citoyenne, élue par et pour les personnes exilées, afin de leur offrir une voix politique et de les associer aux réflexions sur la migration, les droits et l’intégration. « On a utilisé le terme « exilé » pour pouvoir englober la pluralité des statuts qui existent. Au moment des élections, on a rencontré des refugié·es, des demandeur·euses d’asile, des personnes bénéficiant de protection temporaire ou subsidiaire…toutes ces différences se reflètent dans la composition du Parlement. Ça permet de représenter au mieux les visages de l’exil en France. », précise Dounya Hallaq.
Dès janvier 2025, l’association a sillonné la France pour présenter le projet et encourager les candidatures. Plus de 200 personnes exilées ont répondu à l’appel. Jabir Zain, a très vite été enthousiasmé : « J’ai toujours été exilé et immigré dans ma vie. Toujours été forcé de lutter pour mes droits. J’ai appris ce qu’était le Parlement sur des groupes en ligne, entre immigré·es et exilé·es. J’ai eu envie de participer, parce que c’est notre droit et même notre obligation d’essayer de faire avancer des choses. » Né au Soudan, Jabir Zain est activiste et défenseur des droits humains. Il est arrivé en 2020 en France, après avoir vécu 25 ans en Libye.
Les campagnes électorales ont ensuite pris forme sur le terrain, raconte Dounya Hallaq : « Certain·es sont allé·es à Montpellier, à Strasbourg ou à Lille pour présenter leur candidature. D’autres ont mobilisé les médias de leurs diasporas ou de leurs pays d’origine. De notre côté, nous avons simplement mis à disposition un site et un système de vote en ligne. » Pour Jabir Zain, se présenter à une élection était une première : « Il fallait aller rencontrer nos électeur·ices : des immigré·es et des exilé·es comme nous. C’était très intéressant et important pour mieux comprendre leurs situations. »
En juillet 2025, en seulement six jours, près de 5400 personnes exilées vivant en France ont voté en ligne pour élire les 17 député·es qui constituent le Parlement des Exilés.
Se former pour mieux représenter
Afin de préparer au mieux ces élu·es à leur mandat, la première année est consacrée à la formation. Grâce à un Diplôme Universitaire (DU) conçu avec l’Université Paris-Nanterre et plusieurs partenaires, dont l’Institut Jacques Delors, les députés se familiarisent avec le fonctionnement des institutions françaises et européennes, le droit et les politiques publiques, tout en développant leurs compétences oratoires. « Depuis septembre, ils ont suivi leurs premiers cours sur l’Histoire des migrations et les droits de l’Homme. Ils font aussi des rencontres avec des personnalités politiques. », précise Dounya Hallaq.
Sayara Rahmani, est députée aux côtés de Jabir Zain. La réfugiée afghane est également journaliste et secrétaire générale d’une association d’insertion professionnelle. Pour elle, ce début d’année est porteur d’une motivation nouvelle : « La rentrée au Parlement a été un moment très marquant : c’est une véritable reconnaissance politique des personnes exilées vivant en France. C’est une étape essentielle pour nous prépare à exercer pleinement nos fonctions à partir de l’année prochaine. »
Chaque semaine, ils participent à des visites et des rencontres avec des responsables politiques. Ils ont déjà eu l’occasion de s’entretenir avec le président de France Franternités Pierre Henry, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, ou encore l’économiste Gabriel Zucman à la Cour des comptes. « L’un des enjeux de cette première année, c’est de créer un réseau d’interlocuteur·ices qu’ils pourront ensuite mobiliser pour faire le lien avec les institutions », souligne Dounya Hallaq. L’année universitaire s’achèvera par deux mois de stage, à l’été 2026, auprès d’élu·es ou d’administrations locales.
À partir de septembre 2026, les député·es entameront leur deuxième année de mandat, cette fois dédiée au travail collectif. Ils formeront des commissions thématiques pour élaborer des propositions concrètes. « S’ils décident, par exemple, de créer une commission sur l’accès à l’emploi pour les personnes exilées, ils pourront mobiliser des syndicats, France Travail et d’autres acteur·ices du secteur », explique Dounya Hallaq.
Les député·es ont déjà réfléchi aux thématiques sur lesquelles ils et elles aimeraient travailler. En plus du droit de vote pour tous, Jabir Zain souhaite que l’intégration citoyenne soit simplifiée : « Je trouve qu’on peut regarder ces groupes comme un pouvoir économique plus qu’un frein. J’aimerais qu’on mette en valeur les compétences de chacun·e en trouvant des moyens moins bureaucratiques de les intégrer. »
De son côté, Sayara Rahmani s’appuie sur son expérience de femme exilée depuis plusieurs années en France et de mère de trois enfants. Elle souhaite s’engager pour un meilleur accès à l’éducation, à la santé et au logement, mais pas seulement : « Je m’intéresse particulièrement à l’apprentissage du français et à l’accès au droit du travail pour les demandeur·euses d’asile. C’est essentiel pour favoriser leur intégration, leur autonomie et leur épanouissement en France. »
Pour permettre aux député·es de se consacrer pleinement à leur mission, le Parlement des Exilés bénéficie du soutien de plusieurs fondations françaises et européennes, dont la Fondation de France, Porticus et Apolitical. Ces financements assurent notamment une bourse mensuelle à chaque député·e, comprise entre 1000 et 1400 euros, selon les situations familiales. La deuxième année reste à consolider, précise cependant Dounya Hallaq : « Nous espérons pouvoir leur proposer un contrat de travail d’un an, pour qu’ils puissent se consacrer pleinement à la représentation, au travail en commission et à la rencontre avec les décideur·euses politiques. »
Un futur véritable organe consultatif ?
Le Parlement des Exilés ambitionne de devenir un espace de référence pour la concertation et le partage d’expertise sur les questions de migration et d’intégration : « Pour l’instant, c’est un projet pilote, mais l’idée serait d’en faire un véritable organe consultatif, renouvelé chaque année ou tous les deux ans par des élections. Et pourquoi pas, imaginer un Parlement européen des Exilés », se réjouit Dounya Hallaq.
Pour Sayara Rahmani, être partie prenante de ce premier Parlement des Exilés lui inspire chaque jour courage et détermination : « Parmi les nombreuses rencontres vécues depuis le début de cette expérience, celle qui m’a le plus marquée est celle avec d’autres personnes exilées engagées. Nous venons d’horizons très différents, mais nous partageons les mêmes espoirs et les mêmes difficultés. Nos échanges renforcent ma certitude que la solidarité et la représentation politique sont des leviers essentiels pour faire entendre la voix de toutes les personnes exilées. »
Récapitulatif du mandat de deux ans des députés du Parlement des Exilés :
· Septembre 2025 : Rentrée des député·es à l’université Paris-Nanterre pour suivre un Diplôme Universitaire (DU) d’une durée d’un an. Ce DU va leur permettre de combiner enseignements théoriques (droit, politiques publiques, construction européenne, connaissance des institutions…) et pratique (prise de parole, rencontres avec des personnalités institutionnelles, leadership…). À la fin de cette année étudiante, ils effectueront un stage de deux mois auprès d’un élu ou d’une administration.
· Septembre 2026 : Les députés pourront mettre en pratique leurs connaissances acquises la première année pour travailler ensemble en commissions thématiques qu’ils auront créées (sur la santé, le logement, l’emploi…). Ils seront accompagnés durant toute l’année par des chercheur·euses, des associations et divers·es partenaires pour émettre des propositions concrètes en lien avec l’accueil et l’insertion des personnes exilées. Ils se retrouveront régulièrement pour se concerter, associer leurs expertises et créer un dialogue avec les décideur·euses politiques, qui pourront permettre la concrétisation de leurs propositions.
Un article signé par la journaliste Lisa Rompillon.
