La rédaction. Illustation : Capture de l’entretien avec Mohammed Ibrahimzadeh avec Rudaw
« Je me suis cramponné au bateau, tout le monde autour de moi abandonnait », raconte bouleversé Mohammed Ibrahimzadeh, 21 ans, au média Kurde Rudaw.
Le 23 novembre, le jeune homme originaire du Kurdistan prend la mer au départ de Dunkerque (Hauts-de-France). Il a pris la route de l’exil, dans l’espoir de décrocher un travail en Angleterre, afin de payer les frais de santé de sa soeur, malade.
A bord, il sont une trentaine, 33 précisément croit savoir Mohammed Ibrahimzadeh, 31 selon selon les autorités françaises.
« Vous êtes en territoire britannique, nous ne pouvons rien faire »
L’embarcation de fortune garde le cap toute la nuit. « Tout était parfait jusqu’au petit matin, jusqu’à ce que nous réalisions que de l’eau entrait dans le canot par l’arrière ». À ce moment-là, « nous apercevons un bateau à vapeur, reprend-t-il, on était plusieurs à vouloir aller à sa rencontre, mais les autres ont refusé, prétextant que nous devions atteindre la Grande-Bretagne. Le navire a disparu ».
Conscients que l’embarcation ne tiendrait guère longtemps, certains essayent de joindre les secours. « Nous avons appelé la police française pour leur envoyer notre localisation. Mais, on nous a répondu « Vous êtes en territoire britannique, nous ne pouvons rien faire ». Nous avons ensuite appelé les britanniques, qui nous rétorqué d »appeler les français », se souvient Mohammed Ibrahimzadeh.
« Ces morts sont la conséquence la plus dramatique (…) de la politique de non-accueil menée depuis 30 ans à la frontière franco-britannique »
Ensuite, c’est l’hécatombe. L’eau submerge l’embarcation de fortune, les passagers chavirent, se retrouvant dans la Manche qui affiche une température à six degrés. Tous tentent de s’agripper péniblement au bateau ou d’harponner d’autres passagers. « Cela a continué pendant quelques heures, jusqu’à ce qu’il fasse jour. Le soleil était levé, mais nous ne pouvions plus tenir. Les personnes ont simplement arrêté de se tenir la main et ils sont tous tombés à l’eau. Ils sont morts », raconte le survivant.
Parmi les personnes présentes sur le bateau, selon le jeune homme, la moitié était originaire du Kurdistan. Les autres venaient de Somalie, d’Égypte ou du Vietnam. Et sur les 33, annoncés par Mohammed Ibrahimzadeh, seuls deux auraient survécus. À ce jour, 27 corps ont été retrouvés.
Pour les associations d’aide aux personnes migrantes, cette catastrophe découle directement du mauvais traitement subi par ces personnes dans la région de Calais.
« Ces morts sont la conséquence la plus dramatique, la plus grave et la plus insupportable de la politique de non-accueil menée depuis 30 ans à la frontière franco-britannique et des situations de violences et de précarité auxquelles sont exposées les personnes bloquées sur le littoral nord français », fustige l’association La Cimade dans un communiqué de presse publié le 25 novembre.
De la responsabilité des passeurs ?
Le naufrage, le plus meurtrier jamais enregistré dans la Manche, a provoqué une onde de choc et de désolation en France, comme en Angleterre. A Paris, le gouvernement pointe la responsabilité des passeurs, qui mettraient « en danger la vie d’hommes, de femmes et d’enfants sans aucun scrupule », soutient Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur.
Un argument que ne goûte pas les ONG. « Les disparitions et décès aux frontières ne sauraient être uniquement attribués à des « passeurs sans scrupule » ou des « personnes inconscientes des risques ». L’Union européenne et ses États membres doivent prendre la mesure des conséquences de leurs politiques migratoires », insiste la Cimade.
Selon nos confrères du Républicain Lorrain, le ministère de l’Intérieur aurait été interpellé quant aux propos du rescapé et n’aurait pas souhaité répondre.
Suite au naufrage, Gérald Darmanin a annoncé l’arrestation de cinq passeur suspectés d’être « directement en lien » avec le drame.
Des associations, dont Amnesty International, Médecins du Monde, La Cimade, le Secours Catholique ou encore Médecins sans Frontières, organisent un séminaire à l’Assemblée nationale ce jeudi 2 décembre, afin de porter un autre discours sur la migration.
Un voeu pieux ?