BahebeK (qui signifie «Je t’aime » en dialecte libanais) est probablement mon mot arabe préféré. C’est celui que je glisse au téléphone à ma mère, restée à Beyrouth, avant de raccrocher.
Depuis Paris, je continue à parler arabe au quotidien. Par whatsapp avec ma famille au Liban ou autour d’un café serré avec mes amis franco-libanais. Tous les matins, je consulte les news sur Elnashra (le quotidien), aimant constater comment ils relatent les actualités internationales. Ou bien je commente les dernières actualités sur les réseaux sociaux.
C’est bien dans ma langue maternelle que je reste le plus à l’aise pour exprimer mes pensées comme mes ressentis. Quand en français, je cherche encore des mots sur Google pour connaître le vrai sens.
Être relié à soi et aux autres
Depuis Paris, je continue à écouter la musique arabe. O combien, j’y suis attaché ! Feyrouz, je l’écoute tous les matins. Elle me relie à chez moi. Sa chanson BahebeK ya lobnan (Je t’aime mon Liban), je dois l’écouter depuis… toujours. Mais, elle prend un autre sens, une autre résonance, au-delà des frontières libanaises. Elle vient te rappeler des souvenirs, ta vie. Les musiques libanaises comme marocaines ou égyptiennes partagent cette chose qui te touchent à l’âme : sur un rythme saccadé, le sens des mots viennent cueillir tes sentiments.
Cette langue arabe, si merveilleuse, si riche, si complexe, je suis heureux de l’avoir en partage. Je suis heureux quand j’ai des amis français qui développent cette appétence de les aider à prononcer ou à écrire des mots. Et puis, cela me bouleverse de le faire avec des nouveaux amis, l’on sent que ça nous rend plus proche, que nos pensées se rejoignent, que l’on se comprend mieux. Ça clarifie aussi beaucoup de choses imposées par la différence des deux cultures…
Molière à Beyrouth
Le français, j’ai commencé à l’apprendre, enfant, au Liban. J’ai suivi des cours jusqu’au lycée. Mais, je ne l’ai pas beaucoup pratiqué. Plus tard, à la fac, j’ai étudié le droit. J’ai alors renoué avec la langue de Molière, tant le français imprègne le droit libanais – souvent, tu es obligé de rechercher des termes français -.
Et puis après, je me suis envolé pour la Côte d’Ivoire. J’y ai vécu durant trois ans et demi, dirigeant une quincaillerie. Ce n’était pas le français que j’avais appris, celui-là était plus fulgurant, saccadé, hâtif. J’ai quitté le pays lors de la crise de 2010-2011 quand Gbagbo et Ouattara se disputaient violemment le pouvoir.
J’ai ensuite régulièrement visité la France. J’y ai fait du tourisme : de Paris à La Rochelle, en passant par Lyon, Lille ou Montélimar. Quand tu es touriste, tout est différent, nouveau, beau : tu es en extase chaque minute devant tes découvertes de la ville et de ses monuments.
De touriste… à exilé
Et puis, soudainement, tout change. J’ai dû quitter précipitamment le Liban en 2019 pour m’installer à Paris. Je suis passé de touriste à réfugié. J’ai commencé à voir les choses différemment : tu dois essayer de travailler tout en cherchant un logement, sans savoir si tu vas rester ou non. J’ai ressenti beaucoup de peur à cause de cette instabilité. Si on ne m’accorde pas mon statut, je fais comment ? C’était très douloureux.
Désormais que ma situation est plus stable, je sens, en miroir, que mon français s’améliore. Car au début, ce n’était pas une évidence. J’ai cru que j’étais le seul demandeur d’asile qui devait s’efforcer de maîtriser la langue afin de pouvoir communiquer avec les Français. J’aime découvrir cette langue en profondeur, en apprendre davantage sur la culture hexagonale, sur ses lieux historiques. C’est un pays où je dois rester maintenant, je dois construire.
Désormais, je suis si habitué à parler en français que parfois des mots arabes m’échappent (rires). Je cherche mes mots, mais cela revient instantanément. Comme tout, c’est une question d’habitude.
C’est d’abord la langue française qui me lie à Paris. Au Liban, l’on dit que la France, c’est notre « belle-mère », tant l’attache entre nos deux pays est marquée. Pourvu qu’il n’y ait plus de dispute de famille.